- EXPOSITIONS COLONIALES
- EXPOSITIONS COLONIALESEXPOSITIONS COLONIALESDans toute exposition internationale, l’architecture joue un rôle privilégié. Dégagée des contraintes fonctionnelles, elle sert plus à signifier qu’à abriter et constitue dans les registres de l’image symbolique un des principaux véhicules des idéologies. Signes purs, emblèmes, dont le but est d’impressionner le visiteur, les pavillons sont conçus comme des objets publicitaires, exaltant la mission des pays colonisateurs à travers des styles et des traits architecturaux choisis en fonction de leur aptitude à exprimer l’enjeu économique ou stratégique des territoires qu’ils représentent. Après la première exposition coloniale qui avait eu lieu à Casablanca en 1915, la décision d’organiser, en 1920, puis en 1930, des expositions sur le territoire métropolitain répondait à la double volonté de rassembler autour de la France ses alliés, confondus dans leur rôle de «civilisateurs», et de justifier, à travers l’organisation d’un vaste spectacle, la politique colonialiste. Œuvre de paix, ambassade de la France, confrontation des méthodes en vue de l’amélioration de la solidarité internationale, telles sont les définitions qui furent données à l’époque pour caractériser l’entreprise.L’attraction vedette de l’exposition de 1930, qui sera la dernière du genre, consistait dans la reconstitution du temple d’Angkor, associée à la section indochinoise qui ne comptait pas moins de vingt-cinq pavillons. Importance rétrospectivement pleine de sens quand on pense à l’enjeu que devait représenter cette partie du monde au cours des quarante années qui suivirent. Les justifications sont claires: le pouvoir colonial, s’appuyant sur la reconstitution de la légitimité de la dynastie khmère, se posant comme son héritier, fait du temple d’Angkor l’emblème de cette volonté de restitution d’une unité et d’une identité nationale fictive mais indispensable aux buts politiques et économiques qu’il poursuit: un pavillon annexe est entièrement consacré à «la formidable expansion de la culture du caoutchouc» et à l’exploitation des rizières. L’hétérogénéité des styles architecturaux, justifiée par la diversité des pays et des territoires représentés, est significative à bien des égards. Elle coïncide avec la période de doute qui, aux environs de 1925, succède aux certitudes de l’avant-garde et à la confiance aveugle en une modernité qui a été peu à peu assimilée et détournée de ses objectifs par les tenants de l’académisme. Les régionalismes trouvent dans l’exposition coloniale une manière de se manifester, à travers des modèles exotiques certes, mais selon un mode de pensée homologue à celui qui propose le retour aux modèles régionaux pour la métropole: la mairie en style flamand ou provençal répond aux pavillons en forme de case africaine ou de temple hindou. Dans les deux cas, la marque du «civilisateur» s’exprime dans une volonté de rationaliser les modèles traditionnels et de précipiter, grâce à l’intervention du pouvoir central, dépositaire du savoir et incarnation du progrès, le cours de l’évolution des peuples «attardés». La section de l’Afrique-Occidentale comprend, par exemple, un village indigène construit par un architecte français à la manière de l’architecture traditionnelle, mais transposée de telle façon qu’un commentateur de l’époque peut le décrire comme «une véritable cité de chez nous adaptée au climat et aux conditions de vie». Le choix des objets exposés: pavillons ou reconstitutions d’habitat ou de temple est révélateur de la nature de l’action «civilisatrice» envisagée par le pouvoir central.Selon qu’il s’agit d’un territoire où il y a une simple présence administrative ou militaire, ou de pays plus importants du point de vue diplomatique ou économique, l’architecture est respectivement rationnelle et métropolitaine ou pittoresque et locale. Le système se complète par les choix adoptés pour les réalisations sur place: l’architecture qui répond aux besoins du colon se pose comme moderne, rationnelle face au «désordre» des civilisations locales. Les plans des villes d’Afrique du Nord sont assez explicites de ce point de vue, les quartiers européens contrastant avec les rues tortueuses des médinas. Par contre, l’architecture d’importation à l’usage de la métropole va reproduire les modèles exotiques et susciter des modes. Déjà à la fin du XIXe siècle, l’orientalisme avait permis de se servir de l’actualité de la conquête du Maghreb pour promouvoir dans la peinture et les arts décoratifs un style très prisé par la grande bourgeoisie. L’exposition de 1925 avait vu l’utilisation de l’art nègre s’affirmer comme une tendance de l’Art déco. Réciproquement, l’artisanat de luxe à l’usage des colons et des notables locaux, instruments du pouvoir, a sa place dans l’exposition où tous les grands noms de l’époque sont représentés (Dunand, Brandt...), confirmant l’existence d’une clientèle importante, à la mesure de l’enjeu international qu’un empire colonial constitue pour les pays d’Europe dans cette première moitié du siècle.
Encyclopédie Universelle. 2012.